Il y a une pratique qui consiste à expérimenter dans son assise l’état de ce que l’on appelle je-ne-sais-pas. Ce n’est qu’une technique, et non un but.

Il existe des pratiques qui consistent à identifier les choses: On entend un son et on dit « un oiseau, » « une voiture, » « une horloge » — on identifie les choses, et on procède de même avec les pensées. Ce que je propose de faire, du moins ce que l’on peut essayer de faire, est de pratiquer cela, mais dans une autre langue, dans une langue que l’on ne connais pas. J’identifie une pensée, une sensation par exemple, et je me dis, « Comment dirait-on cela dans cette langue? » Bien évidemment, je ne peux pas trouver le mot, précisément parce que je ne le connais pas. Cela ouvre un espace considérable.

Si vous parlez plusiers langues, quand vous passez d’une langue à l’autre, parfois vous devez chercher le mot, et vous vous dites: comment puis-je dire ce que je veux dire dans cette autre langue ? Vous avez besoin d’établir une nouvelle relation avec ce que vous essayez de dire de manière à pouvoir vous exprimer avec d’autres mots, dans une autre langue. Vous devez renoncer à cette boîte dans laquelle vos mots sont contenus. Pour exprimer des choses en français, je dois renoncer à ma boîte dans laquelle sont rangés des mots anglais. Pour exprimer quelque chose en grec ou en ouzbek, ou dans toute autre langue, je dois renoncer à ma boîte à français et à anglais, et à toute autre langue, même celle que je ne connais pas.

Alors, je peux vraiment être avec ce qui est, sans être fermé à quoi que ce soit. Je peux aussi lâcher prise plus facilement, car je ne suis pas attaché à l’identité de cette chose ni à mon aptitude à m’identifier à celle-ci.

Nous pouvons faire de même en nous prenant nous-même comme objet: essayer de nous identifier dans cette langue que nous ne connaissons pas. Ça nous ouvre à la possibilité de faire l’expérience des choses telles qu’elles sont en cet instant même.