(English translation in progress)

extrait du discours, Bodhidharma’s Wake-Up Sermon
fait à Montreuil, le 30 décembre 2005
par Amy Hollowell Sensei

Récemment, j’étais au cirque avec mon fils et mon mari. Il y avait beaucoup de monde et nous avons eu des places qui étaient un peu derrière un poteau. Le chapiteau était organisé en cercle, et le spectacle se déroulait principalement devant les gens placés d’un côté. Nous étions à l’opposé, mais cela allait, et c’était même une expérience très intéressante.

Car par moments, pendant que les artistes ou les numéros changeaient – par exemple, il a fallu enlever les fauves pour installer un autre numéro – il y avait un numéro intermédiaire, comme les clowns, ou bien le maître de cérémonie parlait au public. Les lumières étaient sur lui ou sur les clowns, et le reste était dans l’obscurité. Mais dans l’obscurité, les artistes enlevaient ce qu’il y avait à enlever et mettaient en place d’autres choses. En principe, le public ne voyait que le maître de cérémonie, qui était dans la lumière, ou l’autre numéro, par exemple les clowns.

Distrait par l’action dans la lumière, le public ne voyait pas ce qui se passait dans l’obscurité. Mais nous, là où nous étions placés – là où ils n’avaient pas l’intention de présenter le spectacle – nous avions une vue imprenable sur ce que nous ne devions pas voir et qui se déroulait dans l’obscurité, et aussi une vue sur l’action mise en scène dans la lumière.

Le souvenir de cette expérience m’est revenu récemment quand j’ai lu le “Wake-up sermon,” ou le serment de l’éveil, du grand maître Zen Bodhidharma. La première phrase de son sermon c’est, “The essence of the way is detachement,” ou bien, “L’essence de la voie est le détachement.”

Là, si nous restons juste avec cette phrase, cela suffit, tout est dit. Mais cela laisse aussi la possibilité d’une incompréhension énorme. Car le détachement est un mot piège, la voie est un mot piège, l’essence est un mot piège. Toute la phrase, si nous l’abordons avec notre esprit discursif et logique, notre intellect de tous les jours, toute la phrase va nous poser des problèmes. Nous allons avoir du mal avec cette phrase si nous l’abordons avec “ignorance.” Plutôt que de nous éveiller, nous allons plonger encore plus profondément dans cette ignorance dont nous cherchons à nous libérer.

L’éveil dont on parle consiste simplement à voir sa vraie nature, ma vraie nature et la vraie nature de tout être, de tout phénomène, de toute chose. Et si on regarde cette phrase “L’essence de la voie est le détachement” d’une manière matérialiste, comme s’il y avait quelque chose et quelqu’un qui devait rester détaché de cette chose, on ne voit pas la vraie nature de soi-même ni des choses ni des phénomènes. L’éveil c’est avoir l’expérience de la vraie nature de toute chose et ne pas y être attaché.

C’est comme au cirque: La plupart du temps on regarde ce qu’il y a dans la lumière. On regarde les clowns, on se laisse distraire par la musique, la danse, le spectacle qui est présenté là devant soi. Cela peut être un conflit avec un collègue, trouver de l’argent pour payer le loyer, tout le boulot que l’on doit préparer pour lundi, la fête de demain soir, les films que l’on veut voir, le bon vin (et le mauvais) que l’on va boire, toute cette vie de tous les jours par laquelle nous sommes accaparés. Je n’y suis pas forcément perdue ni submergé par elle. Mais mon attention y est fixée. Je ne vois que cela, comme au cirque quand je ne vois que le spectacle de clowns, quand je ne vois pas ce qui se passe dans l’obscurité. Se limiter à ce qui se passe dans la lumière c’est s’y fixer, c’est être attaché à cette lumière.

Pour lumière et obscurité, on peut dire, comme Bodhidharma, pur et impur, ou ignorance et illumination, conditionnel et inconditionnel, relatif et absolu. Ce sont les deux aspects de la réalité, qui ne sont pas deux mais un. Notre difficulté survient quand nous restons attachés à l’aspect impur/ignorance/conditionnel/relatif/obscur – quand on ne voit que cela – et l’autre aspect (qui, je le répète, n’est pas autre) est donc obscurci.

L’éveil consiste simplement à enlever le voile qui obscurcit l’autre aspect. C’est tout. Et quand on parle de détachement, il s’agit simplement de ne pas être attaché à un aspect ou à l’autre – ni à cette “pureté,” ni à cette “impureté” – ne pas être attaché à l’aspect relatif des choses – grand/petit, ouvert/fermé, chaud/froid, cher/pas cher – ni à l’autre aspect, où il n’y a ni cher ni pas cher, ni grand ni pas grand, ni pur ni impur. Le détachement est simplement ne pas être attaché à l’un ou à l’autre aspect. Cela signifie accueillir les deux. Cela veut dire ne pas les rejeter ou les ignorer, mais reconnaître pleinement les deux aspects. Donc l’essence de la voie, comme dit Bodhidharma, c’est le détachement. On peut dire aussi que l’essence de la voie c’est la plénitude, l’acceptation. Le détachement, c’est d’accueillir. L’essence de la voie, c’est donc “oui,” oui à tout. Il s’agit de rejeter uniquement le rejet, et même de rejeter un rejet du rejet. C’est cela l’éveil.